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  Paroles d’un spectateur

mercredi 4 juillet 2007, par intramhd

Paroles d’un spectateur arpès le spectacle "Superflux"

“D’abord on est assuré que le spectacle va commencer à l’heure dite.

Ensuite on se retrouve dans une salle avec d’autres personnes pour assister au journal télévisé, un peu comme dans les restaurants populaires, mais ça sent moins la frite, on voit bien et on entend tout. Puis on a les titres. Tous, dans l’ordre, bien énoncés sur la une ou sur la deux, c’est au choix de l’artiste. D’habitude on s’arrête là et on commence à manger, l’œil vaguement arrimé à l’écran pour faire croire qu’il faut continuer à se taire, mais on n’y croit plus, c’est l’évidence même.

Dans « Superflux », au contraire, c’est là que ça commence à devenir intéressant. Car maintenant qu’on a bien les titres (les thèmes) en tête, les variations vont commencer, que dis-je les variations, les fugues, contrepoints et autres figures du discours littéral, musical et imagier que le réalisateur du spectacle combine, en liaison avec ses partenaires. D’abord une image peut devenir fixe, ou la speakerine de la 2 se mettre à parler avec la voix du présentateur de la 1. Ca bouge, ça se déplace, et quand on croit tenir le fil du reportage sur la banque dévalisée, c’est le pape qui surgit, clignant de l’œil comme s’il voulait attirer votre attention sur le problème posé par la recrudescence des prostituées sur le boulevard périphérique. A moins que (et là, c’est bien l’actualité qui décide), la transparence des images qui sont censées refléter la douleur du peuple espagnol commémorant les attentats du 11 avril 2004 ne soit soudain réellement « plombée » par la bande son de l’agression de la banque, qui a d’ailleurs eu lieu à peu près au même moment. Il arrive un moment où ce flux d’images et de sons, réels ou imaginaires, d’ici ou d’ailleurs, en direct ou en différé, finit par se choquer en divers sens et recompose une « information » bien plus réelle, et surtout bien autrement en prise avec l’émotion, que le simple défilé répétitif et insignifiant du « journal » dans son déroulé naturel.

C’est en retouchant à la réalité diaphane des images cathodiques, c’est en installant du chaotique dans le déroulement logique de l’information qu’on parvient à redonner du poids au réel dont elle est supposée rendre compte. L’art, comme toujours, produit une fiction désordonnée bien plus juste, bien plus « vraie » même, que le référent auquel il n’est attaché que de loin en loin. « Superflux » conduit doucement le spectateur vers un ailleurs onirique bien autrement en prise avec les questions que se pose un sujet devant le chaos du monde que ne peuvent le faire les sons et les images réglées du journal télévisé lui-même. La thématique reste, mais elle prend doucement une signification universelle, et l’artiste joue avec cette « actualité » pour nous conduire là où il veut, aux frontières du sommeil, aux limites du rêve. Que signifie dormir ? Quel œil nous regarde ? Quelle paix pouvons nous quand même espérer ?

Ca donne envie d’intervenir dans le flux des images. Ca donne envie d’avoir sous la main un outil qui permette d’infléchir le cours des représentations. Ca donne envie de modifier les images, comme si c’était le premier temps nécessaire d’une transformation du monde. C’est un rêve, bien sûr.”

Philippe Méziat

Directeur du Bordeaux Jazz Festival